France Brésil – 06/11/2021 – energiesdelamer.eu. Partie 2 – L’hydrogène naturel et l’hydrogène manufacturé sont à la COP26 avec une journée complète le 10 novembre….Décryptage avec Alain Prinzhofer, géologuesuite. L’hydrogène naturel permettrait de relocaliser la consommation d’énergie dans les pays producteurs. En France, un petit groupe d’industriels membres, notamment de France Hydrogène, se mobilise. En recherche, la France est le premier pays au monde aujourd’hui en termes de nombre de publications scientifiques dévolues à l’hydrogène naturel.     

La production d’hydrogène « vert / bleu » à l’aide d’énergie nucléaire ou d’éolien en mer par exemple, est devenue une stratégie politique et industrielle au niveau mondial. Sur le plan local de multiples projets se développent pour le stockage, l’énergie et la mobilité. Les acteurs de l’O&G prévoient d’utiliser les pipelines de gaz désertés, mais l’hydrogène naturel ne semble pas faire partie de cette conquête. Pour quelles raisons ?

Alain Prinzhofer – Comme je l’ai précédemment mentionné, l’hydrogène naturel apparait nouveau pour l’homme. Beaucoup de personnes déclarent encore aujourd’hui que « l’hydrogène naturel n’existe pas sur Terre ». Cette phrase peut représenter une méconnaissance réelle, ou un déni lié à une peur de voir entrer ce nouveau gaz dans un marché déjà très développé et lucratif, celui de l’hydrogène manufacturé.

Entre la découverte d’un gisement d’une ressource naturelle et son exploitation, il faut généralement plusieurs années, voire 10-15 ans. C’est vrai pour les hydrocarbures, les mines, et aujourd’hui pour l’hydrogène naturel. Le fait que de nombreuses entreprises sont en ce moment en train de l’explorer dans de nombreux pays ne change pas le fait qu’aujourd’hui, il ne représente pratiquement rien dans le marché de l’hydrogène, uniquement manufacturé. Les politiques ont donc tendance à attendre qu’il apparaisse économiquement sur le marché mondial avant d’en faire de la « propagande ». Les opérateurs de l’hydrogène naturel sont souvent des petites entreprises, plus enclines à prendre des risques. Ceci est rendu possible par les faibles CAPEX/OPEX de cette ressource, et une plus grande possibilité réactive face à un nouveau défi associé à un risque fort. Mais les majors de l’énergie sont en embuscade, n’agissant officiellement pas, mais attendant d’observer les résultats pour rentrer dans la ronde.

Enfin, il ne faut pas négliger le rôle de certains lobbies, qui, soit par leur propre production d’hydrogène manufacturée, soit par des business plans n’incluant pas cette énergie, n’ont pas d’intérêt à promouvoir cette énergie. On peut penser aux industries de gaz industriel, aux fournisseurs d’électricité (en France, le lobby nucléaire) qui souhaitent transformer une partie de leur électricité en hydrogène, et ne soutiendront pas l’arrivée d’autres source pour ce gaz.

Comment transforme-t-on l’hydrogène naturel / natif pour l’exploiter ?

AP – L’hydrogène naturel terrestre apparait géologiquement comme les autres gaz naturels, sous forme vapeur. Il suffit de faire un forage (peu profond, généralement inférieur à 1000m), et l’hydrogène sort par lui-même en surface lorsque l’on ouvre le robinet, par surpression. L’hydrogène est une molécule très petite, légère et très dispersive, ce qui augmente la facilité de sa récupération.

D’autres gaz y sont-ils associés, comme le méthane ou l’hélium ?

AP – En effet, l’hydrogène naturel n’est jamais pur à 100%, contrairement à l’hydrogène manufacturé. Au Mali par exemple, il représente 98% du gaz, du méthane et de l’azote y étant associé. Ces deux gaz peuvent être en proportion plus ou moins grande suivant les gisements. En fonction de l’utilisation prévue pour l’hydrogène, il peut être nécessaire ou non de le purifier avant de l’utiliser.

Un autre gaz associé, l’hélium peut représenter parfois plusieurs pourcents, ce qui représente des concentrations très élevées pour ce gaz (on l’exploite aujourd’hui généralement à des teneurs inférieures à 1%). Comme le marché de l’hélium est très tendu, et que les réserves prouvées sont modestes, il peut s’agir d’un sous-produit très intéressant exploitable avec l’hydrogène (en l’en séparant bien sûr lors de la production).

Quels sont les projets actuels et de quels investissements bénéficient-ils?

AP – De nombreuses entreprises ont aujourd’hui des projets concernant l’exploration et la production de l’hydrogène naturel. Leur avancée est très variable suivant les entreprises et les pays. Certaines en sont à un stade très préliminaire de détermination de l’existence (ou non) de systèmes hydrogène dans telle région. D’autres ont déjà avancé en faisant des forages d’exploration, après des études géologiques, géophysiques et géochimiques. D’autres enfin comme la société Hydroma au Mali, ont dérisqué le projet et sont dans la phase de développement industriel, d’exploitation et de vente.

Est-ce une production qui pourrait être exploitée facilement par des entreprises de taille moyenne comme vous l’avez mentionné, ou les investissements nécessitent-ils des soutiens importants de groupes industriels ou financiers ?

AP – Avec Hydroma ou GEO4U, notre chance est d’être parmi les premiers à commencer l’exploitation de ce gaz. Comme pour les hydrocarbures au XIX° siècle, l’exploration et la production des gisements débutent par les plus faciles (et les moins chers) à trouver et à exploiter. Il s’agit de gisements peu profonds (quelques centaines de mètres de profondeur), recherchés uniquement à terre (et pas encore en mer), et situés dans des roches suffisamment perméables pour ne pas nécessiter de fracturation hydraulique, comme c’est le cas aujourd’hui pour les hydrocarbures dans certaines régions. Il en découle que les investissements nécessaires sont sans commune mesure avec ceux associés à l’exploration pétrolière. On peut les comparer avec les investissements des pionniers de l’exploration pétrolière au XIX° siècle.

Les modestes CAPEX et OPEX nécessaires à la valorisation de l’hydrogène naturel peuvent avoir une conséquence importante pour l’avenir de notre relation à l’énergie. L’hydrogène naturel est en effet présent dans à peu près tous les continents. Son exploitation est facile, encore une fois, peut être envisagée par des entreprises de taille modeste. Son prix de revient est très inférieur à celui de l’hydrogène manufacturé. Ajoutez à cela que son transport, bien que possible, est plus onéreux que celui des hydrocarbures, et on peut voir un avenir où des pays producteurs inverseraient la donne entre consommation locale et exportation. Aujourd’hui, les pays producteurs de matière première exportent au minimum 80% de leur production, en en gardant pour eux une part minoritaire.

Est-il envisageable de penser à un développement économique « local » ?

AP – Avec l’hydrogène naturel, ces chiffres pourraient s’inverser, autorisant le développement d’une industrie et d’une économie performante dans les pays aujourd’hui en voie de développement. Ce changement de paradigme peut grandement influencer l’avenir des équilibres économiques mondiaux, grandement basés sur le coût local de l’énergie. Qu’aujourd’hui, des pays d’Afrique paient l’électricité plus cher qu’en Europe, alors que leur PIB par habitant est grandement inférieur, est un frein pour un possible équilibrage Nord-Sud. L’exploitation et la consommation locale de cette nouvelle ressource énergétique peut amener un changement important dans le développement par exemple de ce continent.

La France possède 5 % de ressources hydrogène naturel terrestre dans le Jura est-ce suffisant et rentable de lancer une production ?

AP – Non, le champ du Jura était un champ de gaz qui contenait 5% d’hydrogène, ce qui est modeste. Ce champ a semble-t-il d’ailleurs disparu depuis sa découverte en 1909, tout le gaz qu’il contenait n’est plus accessible. En revanche, d’autres endroits en France ont montré l’existence de systèmes hydrogène. Par exemple, la région pyrénéenne, l’Alsace et le Cotentin montrent des indices encore peu étudiés. Il faudrait que la France lève le tabou de la valorisation de son sous-sol, afin de déterminer à minima s’il y a réellement un potentiel pour cette nouvelle ressource. On ne peut encore le dire aujourd’hui.

Quelles sont les contraintes et les impacts environnementaux déjà constatés et pensez-vous que les riverains puissent accepter l’exploitation de site à proximité des villages ou des villes ?

AP – Les puits d’exploitation de l’hydrogène naturel sont peu profonds, et correspondent au forage de puits à eau par exemple, en tout cas au niveau des technologie de forage sensu stricto. Il faut bien sûr y adjoindre des équipements non nécessaires lorsque l’on fore pour simplement trouver de l’eau. Il ne s’agit dont pas d’installations très volumineuses. Il a pu également être montré que l’hydrogène se renouvelait dans un réservoir au fur et à mesure qu’on le soutire, ce qui en fait une énergie renouvelable et pourtant stockée par le sous-sol. Ceci implique que le régime des pressions dans le sous-sol reste en état stationnaire, qu’on exploite cet hydrogène ou non. Enfin, l’hydrogène donne en brulant ou en se transformant chimiquement de l’eau, ce qui n’est pas encore considéré comme un produit polluant.

Vous avez évoqué un nouveau regard sur cette émergence d’un intérêt scientifique et industriel, des thèses ont-elles été soutenues en France ou sont-elles en cours ? 

AP – La France est le premier pays au monde aujourd’hui en termes de nombre de publications scientifiques dévolues à l’hydrogène naturel. Plusieurs universités ont des programmes de recherche associés à cette thématique, et cela inclut des étudiants en thèse, en master ou en post-doc. Je trouve qu’il est dommage que cette avance réelle de la France dans la connaissance des systèmes hydrogène ne soit pas transformée par des décisions industrielles et politiques afin de valoriser cette nouvelle connaissance.

 

Propos recueillis à l’occasion de la conférence du 22 octobre 2021, organisée conjointement par l’Arib et Ifremer. Remerciements à Henri Bougault qui a autorisé energiesdelamer.eu de publier in extenso son article sur Hydrogène et Méthane hydrothermal : Enjeux scientifiques Une ressource potentielle nouvelle ? et Michel Paillard, ex chef de projet EMR à l’Ifremer. Tous les deux, experts et ex IFREMER, sont membres de l’Arib.

 

POINTS DE REPÈRE

L’entretien de l’automne – 1 : L’exploration et l’exploitation de l’hydrogène naturel

06/10/2021 – Partie 1 – Présent sous les océans, l’hydrogène manufacturé et l’hydrogène naturel terrestre trouvent leur place à la COP 26. Forage en terre africaine, brésilienne, canadienne … et même française, energiesdelamer.eu vous embarque avec une personnalité scientifique. Alain Prinzhofer, géologue, nous fait découvrir autrement un sujet qui devient d’actualité … ICI

11/12/2021 – L’Innovant.fr. L’hydrogène naturel, nouvel or du Mali, Petroma Inc, la société d’exploration de l’homme d’affaires Aliou Diallo, mène une petite révolution énergétique à une soixantaine de kilomètres de Bamako depuis 2010.

Alain Prinzhofer est docteur d’État de l’Université Paris-6 en géologie-géochimie. Il a travaillé dans la recherche académique (formation des magmas, différentiation des planètes) et appliquée, avec 20 ans passés à l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN). Il est aujourd’hui Directeur technique de l’entreprise HYNAT, dévolue à l’exploration/production de l’hydrogène naturel. Il est aussi directeur scientifique de la jeune entreprise de consulting GEO4U (Brésil), dans le secteur de l’exploration du gaz naturel, professeur affilié à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et au Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain (LIED, UMR de Paris-7). En dehors de ses activités scientifiques, il a écrit un livre sur l’opéra, et il expose son travail de photographe dans des galeries de Paris et de Rio.

Des livres

A propos de l’hydrogène manufacturé

Oui, mes amis , je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène qui la constituent, utilisées isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et une intensité que la houille ne saurait avoir. L’ile mystérieuse de Jules Verne – 1875

A propos de l’hydrogène naturel

Challenger, observait un geyser… The Lost World d’Arthur Conan Doyle  – 1912

Cet été, energiesdelamer.eu vous avez embarqué avec une personnalité scientifique pour découvrir autrement des sujets d’actualité

17/07/2021 – Nauru – Plongée en eau profonde, où, en 2021, un espoir semble apparaître avec les grands fonds marins pour la plus petite République du monde !

 


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