France – 27/09/2021 – energiesdelamer.eu. Exclu

C’est à nouveau sur le terrain du droit que se sont cristallisées les confrontations entre les porteurs de projets éolien offshore et les pêcheurs, notamment devant le tribunal de l’Union européenne, dont l’arrêt rendu le 15 septembre dernier traitait de la contestation d’une décision de la commission européenne du 26 juillet 2019 validant les aides d’Etat mises à exécution par la France en faveur de six parcs éoliens en mer (Courseulles-sur-Mer, Fécamp, Saint-Nazaire, Îles d’Yeu et de Noirmoutier, Dieppe et Le Tréport, Saint-Brieuc).

Afin de prouver la recevabilité de leur recours en annulation de cette décision, les pêcheurs requérants ont en effet tenté de prouver leur qualité de « parties intéressées », au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, sur deux fondements, à savoir, d’une part, l’existence d’un rapport de concurrence indirecte entre leurs activités et celles des bénéficiaires des aides litigieuses et, d’autre part, le risque d’une incidence concrète de ces aides sur leur situation.

Dans une optique de gestion des conflits d’usage, l’attention mérite d’être portée sur le premier fondement, à savoir un rapport de concurrence indirecte. Celui-ci réside, selon les pêcheurs, dans le fait qu’ils utilisent la même « matière première » que les développeurs éolien, à savoir l’accès et l’usage des zones de l’espace maritime identifiées comme les sites des projets en cause de sorte qu’ils seraient dans un rapport de concurrence avec les exploitants de ces projets. Cette notion de « matière première » a été employée par la cour de justice dans le cadre d’une affaire où les requérantes, à savoir d’une part des entreprises produisant des panneaux de fibres ainsi que des panneaux à copeaux orientés, et d’autre part le bénéficiaire de l’aide concernée, un fabricant de pâte à papier, utilisaient dans leur processus de production la même matière première : du bois d’industrie. C’est la raison pour laquelle le Tribunal en a déduit que ces entreprises se trouvaient dans une relation de concurrence en tant qu’acheteuses de bois d’industrie (Arrêt de la Cour de justice du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex (C-83/09 P, EU:C:2011:341).

Le tribunal ne rejoint pas les pêcheurs sur cette argumentation. Il considère en effet que la « matière première » des pêcheurs ne réside pas dans l’accès à une zone de pêche, mais dans l’utilisation des ressources halieutiques, tandis que les producteurs d’électricité exploitent l’énergie cinétique du vent. Selon les pêcheurs, était en jeu dans l’arrêt de 2011 une relation de concurrence pour l’usage d’une zone commune d’approvisionnement en bois, tandis que la cour rappelle qu’il s’agissait d’une concurrence sur le marché du bois d’industrie.

Les pêcheurs et les exploitants éoliens ne sont donc pas dans un rapport de concurrence, qu’il soit direct- ils n’exploitent pas la même ressource- ou indirect- le tribunal soulignant que le conflit entre ces protagonistes « ne procède pas d’une « mise en concurrence » par ces autorités pour ledit accès et ledit usage » mais résulte plutôt « de décisions réglementaires des autorités françaises, relatives au contrôle et à la gestion des différentes utilisations de l’espace public maritime ».

La qualification de « matière première » relativement à un espace ou une zone n’est certes pas si incongrue si l’on rappelle que le domaine public peut être qualifié de ressource essentielle. Rappelons également que l’utilisation du domaine public, y compris maritime, est désormais soumise à des procédures de mise en concurrence. Il ne serait donc pas improbable qu’un exploitant de parc éolien soit mis en compétition avec un aquaculteur, quoique la coexistence d’usages soit davantage encouragée que la concurrence.

Mais voilà, le juge européen lui-même rappelle qu’il demeure des îlots de résistance à l’extension du marché. Les pêcheurs exercent leur activité sur la colonne d’eau de mer, qualifiée de res communis, qui échappe à la sphère de « gestion commerciale » du domaine public maritime. Le tribunal de l’UE souligne en outre qu’aucune exclusivité d’usage n’est octroyée aux exploitants éolien, mais qu’au contraire la coexistence d’usages au sein des parcs est favorisée.

Il précise que « si, en pratique, (…) les activités de pêche sont susceptibles de faire l’objet de limitations dans ces zones, il en ressort également que ces limitations correspondent à des objectifs de sécurité et de prévention des risques poursuivis par ces autorités (…). Les éventuelles conséquences de ces limitations sur l’activité économique des pêcheurs requérants sont donc inhérentes à la réglementation de l’espace public maritime et ne sauraient être considérées comme conférant un avantage aux exploitants des parcs éoliens en cause par rapport aux entreprises de pêche utilisant les mêmes zones ».

Le tribunal rappelle également que la restriction d’usage imposée aux pêcheurs peut provenir  aussi d’une réglementation stricte édictée au regard d’objectifs de gestion des ressources halieutiques, sans avoir à incriminer uniquement la gestion des parcs éoliens, et qu’ainsi « les pêcheurs requérants ne disposent pas d’un droit inconditionnel d’exploitation de ces zones qui les mettrait « en concurrence » avec les opérateurs autorisés à exploiter des sites se trouvant à l’intérieur desdites zones à des fins de production d’électricité ».

Ainsi, ce n’est manifestement pas sur le terrain du droit des aides d’Etat que les pêcheurs peuvent espérer obtenir gain de cause. Le tribunal laisserait-il néanmoins la voie ouverte à la contestation, en indiquant que « les pêcheurs requérants peuvent avoir un intérêt à contester devant les juridictions nationales les décisions et les choix des autorités françaises s’agissant de l’exploitation de l’énergie éolienne en mer, en raison des incidences potentielles de cette exploitation sur leur situation… ».

Séverine Michalak Expert juridique – Droit des EMR est également l’auteur du dossier consacré « Au marché local, Enjeux Juridiques » publié par le trimestriel MerVeille Energie #4

 

Le recours était déposé par : la Coopérative des artisans pêcheurs associés (CAPA) Sarl, le Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins des Hauts-de-France (CRPMEM), le Fonds régional d’organisation du marché du poisson (FROM NORD), l’Organisation de producteurs CME Manche-Mer du Nord (OP CME Manche-Mer du Nord).

Les dernières nouvelles sur les relations Pêche – éolien en mer : 

24/09/2021 – Photo de « Une » – Les pêcheurs normands ont manifesté, vendredi 24 septembre , au Havre, contre l’implantation des parcs éoliens. 

© Stéphane Geufroi/PHOTOPQR/OF/MAXPPP

Le collectif Citoyens des Mers engagé dans la lutte contre le développement des parcs éoliens en mer s’est mobilisé vendredi 24 septembre pour demander un moratoire sur les projets en cours. En première ligne dans ce combat : les pêcheurs normands.

Les recours en cours

– Le parquet financier a été saisi par les pêcheurs de Saint Brieuc – 09-03-2021
– Avant cette nouvelle plainte, Ailes Marines avait récapitulé les faits après la parution d’articles dans la presse nationale – 08-28-2021

POINTS DE REPÈRE

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18/09/2021 – Si vous ne l’avez pas déjà fait, prenez connaissance de l’Avis intégral publié par la Cour de justice de l’Union européenne (CURIA) suite à l’article publié par energiesdelamer.eu, sur les aides sous forme de tarifs d’achat d’électricité sont compatibles avec le marché intérieur. le 17/09/2021 ICI.

 

Aides d’État – Aides individuelles en faveur de l’exploitation de parcs éoliens en mers : L’Avis du Tribunal de l’UE


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