France – 15/05/2023 – energiesdelamer.eu.

Les problèmes techniques ont été résolus : à Ouessant, le démonstrateur de Sabella fonctionne en continu depuis un an. Le fabricant d’hydroliennes voudrait maintenant passer à la construction de fermes pilotes, explique son président. Mais pour cela, il lui faut trouver des investisseurs. Pas simple, avec une technologie encore neuve sur un marché qui reste à créer.

Depuis une quinzaine d’années, Sabella travaille au développement de l’énergie hydrolienne – et à la mise au point d’une turbine. Où en est la société aujourd’hui ? Plus largement, quelles perspectives voyez-vous pour l’énergie hydrolienne – en France et dans le monde ? Cette technologie a-t-elle un avenir ?

Sabella est une société de technologie qui compte 25 salariés, presque tous ingénieurs, basée à Quimper. Notre métier est de faire fonctionner des turbines avec le courant des marées. L’hydrolienne est une technologie particulière : elle fournit une énergie certes intermittente, mais totalement prévisible. Les courants de marée changent de sens – en passant par un moment où ils s’annulent. Résultat, on peut calculer très précisément quelle quantité d’énergie on produira à telle heure dans un mois ou dans deux ans. Pour un gestionnaire de réseau, c’est évidemment très intéressant.

De plus, l’hydrolienne se pose simplement au fond de l’eau : elle ne nécessite aucun forage, ne cause aucun dégât à l’environnement. Et elle ne génère aucun conflit d’usage – d’autant moins qu’on l’installe dans des endroits où l’on trouve de forts courants, et qui par conséquent n’attirent pas grand monde.

Donc, oui, l’hydrolienne est bien une solution d’avenir. C’est une technologie qui va prendre son essor, nous en sommes convaincus.

Quelle qualité d’énergie peut-on espérer produire, et où?

A priori, il faut des courants de plus de 1,5 mètre/seconde. Les gisements dans le monde sont estimés à environ 100 GW. Le nucléaire, de son côté, va augmenter de 400 GW d’ici 2050. L’énergie produite par les hydroliennes pourrait donc représenter, à l’horizon 2050, le quart de la hausse du nucléaire. Encore s’agit-il là d’une vision minimaliste, car de nombreuses zones intéressantes n’ont pas été évaluées. Et même dans les pays qui ont déjà été prospectés, on a tendance aujourd’hui à réévaluer le potentiel à la hausse. En Grande-Bretagne, on table sur 11,5 GW ; en France, sur 5 à 8 GW, avec quatre sites principaux : le passage du Fromveur dans le Finistère, le Raz Blanchard et le Raz Barfleur près du Cotentin, et le golfe du Morbihan.

 

« Nous avons acquis un vrai savoir-faire »

Comment se positionne Sabella, sur ce marché potentiel ?

Notre société a été créée en 2008. Nous avons rencontré au départ des problèmes techniques qui sont aujourd’hui résolus. En 2022, nous avons remis à l’eau un démonstrateur, la Sabella D10, avec une turbine de 1 MW – dont l’injection a été limitée à 250kW à la demande d’EDF SEI. Depuis plus d’un an, ce démonstrateur injecte du courant sur le réseau électrique d’Ouessant. A certains moments, la turbine fournit jusqu’à 48 % de l’électricité de l’île. Notre technologie est fiable. Elle a fait ses preuves.

Qu’est-ce qui vous permet de dire que votre technologie est plus fiable que celle d’autres acteurs, qui ont échoué ?

Nous avons fait le choix de la robustesse : nous n’avons pas de boîte de vitesses, par exemple. Quant à la connectique, un élément sensible, elle est désormais au point. Notre hydrolienne D10 est à l’eau depuis un an dans le courant du Fromveur, au large de Ouessant, tourne en continu, sans aucune panne. Dans le milieu marin, on est souvent surpris. Il faut tâtonner, acquérir de l’expérience… Cela prend du temps. Mais nous avons maintenant un vrai savoir-faire.

Quelle serait donc l’étape suivante, après ce démonstrateur ?

Nous voudrions créer au moins une ferme pilote. C’est-à-dire un ensemble de 3 ou 4 turbines, qui fonctionnent ensemble, que l’on puisse tester. Ce serait un premier pas décisif vers l’industrialisation. De quoi inspirer confiance au marché. Mais nous devons trouver des financements pour ces fermes pilotes.

Au plan financier, où en êtes-vous ?

Depuis la création de Sabella, nous avons dépensé 35 millions d’euros. Pour franchir une nouvelle étape, il nous faudrait 10 millions pour la France, et un grosse trentaine de millions pour créer des fermes pilotes sur plusieurs autres sites – au Pays de Galles, en Indonésie… Ensuite seulement, nous pourrions devenir bénéficiaires, avec la grande série.

« Peut-on passer à côté de cette source d’énergie, qui dispose de beaucoup d’atouts ? »

Qui sont vos actionnaires actuels ? Sont-ils prêts à vous suivre ?

Nos actionnaires sont des industriels – GE Renewables, des PME et ETI spécialisées dans la chaudronnerie et la forge – et des financiers : la BPI, le fonds Demeter, GO Capital, des filiales de Banque Populaire et du Crédit agricole. Nous avons également une plateforme bretonne de financement participatif. Mais plusieurs de nos actionnaires actuels, après nous avoir soutenus depuis 10 ans, souhaitent que d’autres investisseurs prennent le relais.

Que vous répondent les autres investisseurs potentiels que vous sollicitez ?

C’est assez complexe. Chacun attend la réponse des autres pour s’engager… Autre difficulté : notre business plan prévoit d’atteindre l’équilibre en 2026, et un retour sur investissement en 2028 ou 2029. En France, pour nombre d’acteurs, c’est un délai très long : ils veulent une rentabilité à 3 ans. Mais dans le monde marin, il faut du temps pour développer une nouvelle industrie et atteindre la maturité. Et l’énergie, c’est du temps long…

Nous avons également répondu à un appel d’offres lancé dans le cadre d’Horizon Europe, avec l’allemand SKF. Ajoutons que nous avons aussi un partenariat avec un industriel écossais – mais qui opère avec des petites turbines de 100 kW seulement. Nous avons ensemble une concession au pays de Galles.

Dans ces conditions, pourriez-vous envisager une diversification ? Dans quel domaine ?

Nous avons pensé par exemple à des dispositifs de production et de stockage d’hydrogène sous l’eau, produit à partir d’hydroliennes ou d’éoliennes offshore. Installer sous la mer des machines complexes comme des électrolyseurs, nous savons le faire… Nous avons un projet en ce sens, dans le cadre du consortium SeaH2. Mais cela coûte cher. Une autre piste, envisagée avec le ministère des Armées : utiliser des hydroliennes pour alimenter un dispositif de surveillance côtière.

Vos difficultés ne tiennent-elles pas aussi à une certaine défiance à l’égard d’une technologie qui est encore très peu éprouvée ?

Pour l’heure, c’est vrai, le marché n’est pas prêt, et certains sont réticents. Il y a quelques années, Naval Group, via sa filiale Naval Energies, a racheté Open Hydro, dont la technologie s’est avérée défaillante. Ça n’a pas marché, ils ont fini par jeter l’éponge… Cet échec a marqué beaucoup d’observateurs.

Mais notre principal problème, aujourd’hui, est l’absence de visibilité du côté de l’État. La Loi de programmation sur l’énergie et le climat n’est toujours pas déposée, et ne le sera qu’à la fin de l’année, pour un vote début 2024. Résultat, la PPE, qui doit suivre, ne sera pas en place avant fin 2024. L’hydrolien, normalement, devrait y figurer. Mais l’Etat ne va-t-il pas changer d’avis?  Certains s’interrogent… Nous avons donc une période difficile d’environ 18 mois à passer : tant que nous n’aurons pas la loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC)* et la PPE, nous resterons dans l’incertitude.

Or l’État a la capacité de nous soutenir, et il y a intérêt. Mais il se trouve aujourd’hui dans une situation budgétaire tendue, nous en sommes conscients… Le marché, pour le moment, n’existe pas. C’est à l’État de l’organiser. De notre côté, nous avons fait notre part du job. Nous avons appris à faire fonctionner des machines sous l’eau, ce qui nécessite une organisation particulière, avec par exemple un système d’astreinte… En un sens, nous sommes des pionniers.

Cela fait beaucoup d’obstacles à surmonter…

En effet. Mais dans le contexte actuel, un gisement d’énergie de 5 à 8 GW, une énergie disponible en pleine souveraineté, prédictive, sans dégât sur l’environnement ni conflit d’usage, cela justifie que l’État s’y intéresse. La France, qui dispose du deuxième plus grand domaine maritime au monde, peut-elle passer à côté de cette source d’énergie ?

 

La loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) définit les objectifs et les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique. Cette loi doit être publiée avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans. (Source : Cerema)

 

Propos recueillis par J.-C. L.

 

POINTS DE REPÈRE

Les grandes étapes de Sabella.

Sabella D10 a été reposée en avril 2022 dans le passage du Fromveur. La courbe de puissance de l’hydrolienne a été certifiée par le Bureau Veritas en décembre 2022.

Une première en France – « hydrolien et hydrogène » 

En partie grâce au projet européen Interreg Manche ICE (Intelligent Community Energy), Ouessant, dont le maire est Denis Palluel, expérimente des technologies de pointe, de nouveaux modes de production ou de stockage d’énergie bas carbone avec une gestion intelligente des énergies avec le concours des habitants.

 

Après une rectification de ses pâles chez Ifremer et une révision du connecteur, Sabella tourne depuis le 15 avril 2022 dans le passage du Fromveur, au large de Ouessant, dans le parc marin d’Iroise.

L’hydrolienne Sabella est réinstallée au large de Ouessant

Sabella est présidée depuis juillet 2019 par Benoit Bazire. Fanch Le Bris a été confirmé à son post de Directeur général. Jean-François Daviau, fondateur et ancien Président de Sabella reste membre du conseil d’administration et actionnaire de Sabella.

Sabella a bénéficié depuis sa création des soutiens de la Région Bretagne et de l’ADEME, sans oublier le Conseil général du Finistère, Saipem et Jacques Ruer, In Vivo, Sofresid, DCNS et de bien d’autres « supporters »…… En juin 2014, la société a été fortement accompagnée par le programme Investissements d’Avenir et par le FEDER Bretagne.

Un dossier spécifique a été remis à l’ADEME le 16 mai dernier, dans le cadre de l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) « Fermes pilotes hydroliennes ».

La levée de fonds a été souscrite par les fonds d’investissement GO CAPITAL Amorçage et EMERTEC 5, ainsi que par le Groupe CMI, la Société GEOFINANCIERE et le Groupe FARINIA – FCGM pour un investissement total de 4,3 M€, doublée d’un engagement complémentaire de 1,5M€ minimum dans un an.

 

Véritable mémoire audiovisuelle de Sabella, Emmanuel Donfut  et Nathalie Vermillon-Donfut (Balao) suivent l’hydrolienne de Sabella depuis sa première mise à l’eau.
Interview de Nathalie Vermillon-Donfut sur son métier de photographe, vidéaste et télépilote de drones dans le cadre de la semaine des métiers du maritime et du fluvial 2023 organisée par Pôle Emploi.
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