Monde –  09/11/2021 – energiesdelamer.eu. Le futur traité international sur la haute mer : Entre régionalisme et globalisme, un compromis nécessaire à la hauteur des enjeux de conservation de la biodiversité et du climat, éclairage de Séverine Michalak, juriste.

Tandis que la COP 26* apporte les premiers engagements, notamment pour le méthane et la déforestation, sera-t-elle résolument « maritime », à la hauteur des enjeux océan-climat ? Après la COP26, les négociations sur la protection de la haute mer** devraient se poursuivre,  lors du prochain sommet “One Ocean Summit” organisé à Brest début 2022, en janvier ou février, annoncé  en septembre dernier par le président de la République.

La France, qui prendra la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne le 1er janvier 2022, se doit de booster l’adoption d’un outil juridique ambitieux permettant notamment de créer des aires marines protégées en haute mer et de réguler strictement l’exploitation des ressources génétiques marines (MGR) dans la colonne d’eau. La finalisation de l’accord se tiendra en mars 2022 à New York.

L’enjeu majeur de ces négociations consiste à trouver un compromis acceptable entre les partisans du globalisme et ceux du régionalisme. Les premiers proposent de gérer la haute mer (eaux surjacentes) comme les fonds marins, patrimoine commun de la nation, sous l’autorité de l’AIFM, ce qui éviterait de créer une nouvelle autorité et réduirait les coûts et n’hésitent pas à tendre vers une limitation de la liberté en haute mer. Les non-membres de la CNUDM, tels les États-Unis, ne sont pas favorables cependant à ce que l’AIFM endosse ce rôle, dont la gestion n’est pas assez transparente à leur goût.

Les partisans du régionalisme quant à eux suggèrent de se baser sur les organisations existantes, notamment les Regional fisheries management organisation-RFMO, les organisations régionales de pêche, en raison des doutes concernant l’efficacité de la création d’une nouvelle organisation régionale et sa capacité à contraindre des organisations existantes à limiter notamment la liberté de pêche en haute mer, le poisson étant à la fois un produit et une MGR (ressource génétique marine), faisant ainsi écho à l’article 197 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer – CNUDM.

La coopération avec les RFMO pourrait d’ailleurs se traduire par la conclusion de Memorandum of Understanding – MoU, à l’instar de celui existant entre la Convention OSPAR et NEAFC pour le Nord-Est Atlantique, ayant permis pour la première fois la création d’une AMP dans les eaux internationales de la région concernée. Cette coopération pourrait sans doute se renforcer également par le fait que nombre de membres de ces RFMO seraient aussi membres du futur Traité, les contraignant en quelque sorte à respecter leurs obligations découlant de ce dernier.

Devront s’appliquer au Traité les principes de subsidiarité, à savoir que si une mesure proposée peut être plus efficacement appliquée au niveau national ou régional que global, alors la priorité sera laissée aux institutions nationales ou régionales. L’application du principe de subsidiarité serait renforcée grâce au principe de coopération horizontale et verticale.

Très concrètement, le futur Traité devrait comprendre les organes suivants :

  • une COP, Conférence des parties – ONU, (article 48) qui devrait se réunir dans l’année 2022 ? et dont les décisions seraient prises en priorité par consensus. Le rôle de la COP sera d’autant plus important eu égard à la nature fragmentée actuelle de la gouvernance globale des océans. Son rôle serait renforcé grâce à un mécanisme de surveillance et de conformité aux engagements pris par les États.
  • un organe scientifique et technique (STB), dont le statut permanent ou non est en discussion, qui délivrerait notamment des conseils en matière de transfert de technologies marines. Le STB pourrait ne pas être un simple organe consultatif mais jouer un rôle non négligeable dans la mise en œuvre de l’Accord dans des domaines allant de la surveillance des MGR à la formulation de recommandations sur les outils de gestion dédiée à une zone spécifique (Area Based Management Tools -ABMT), de recommandations à la COP et l’examen des études d’impact environnementales, ainsi que pour conseiller sur le développement et le transfert de technologie marine…

En outre, le rôle de l’établissement de normes par rapport aux ABMT pourrait renforcer l’efficacité de l’Accord. Si, par exemple, le STB devait adopter une approche dynamique et adaptative axée sur les données, qui garantirait qu’ils pourraient réagir aux changements des conditions océaniques et au mouvement des ressources biologiques marines au fil du temps (à la fois spatiales et temporelles), les ABMT pourraient alors traiter plus efficacement les problèmes à long terme tels que le changement climatique

  • un mécanisme d’échange d’informations (Clearing-House Mechanism)

 Ce mécanisme permettrait aux Parties d’avoir au minimum accès, d’évaluer et de diffuser des informations concernant notamment : les activités, les données, les informations scientifiques et les connaissances traditionnelles associées aux MGR « y compris par le biais de listes de bases de données, de référentiels ou de banques de gènes où sont actuellement détenues les ressources génétiques marines des zones situées au-delà de la juridiction nationale, un registre de ces ressources et un système de suivi et de mécanisme de traçage des ressources génétiques marines des zones situées au-delà de la juridiction nationale et leur utilisation »

  • le partage des bénéfices

L’article 51(5) du futur Traité exige du Mécanisme d’échange d’informations qu’il reconnaisse les circonstances particulières des petits États insulaires en développement (et des États archipélagiques en développement) et qu’il facilite leur accès et leur utilisation du mécanisme.

Enfin le Traité comprendra bien entendu un secrétariat, dont on ne sait encore s’il sera créé spécifiquement ou s’il proviendra d’une organisation existante (UN Ocean affaires…).

 

* Lors de la journée d’ouverture de la COP26, Mia Mottley, première Ministre de la Barbarde, a lancé devant les 120 dirigeants un appel fort pour que des décisions soient réellement prises : « Nous voulons exister dans cent ans, et si notre existence signifie quelque chose, alors nous devons agir dans l’intérêt de nos peuples qui dépendent de nousPour ceux qui ont des yeux pour voir, des oreilles pour écouter, et un coeur pour ressentir: pour survivre nous avons besoin (de limiter le réchauffement) à +1,5°C; 2°C serait une condamnation à mort pour les populations d’Antigua et Barbuda, des Maldives, des Fidji, du Kenya ou du Mozambique, des Samoa et de la Barbade« , a-t-elle insisté.

** La haute mer commence au-delà de la limite extérieure de la zone économique exclusive (ZEE) ), au maximum à 200 milles nautiques (370,4 km) de la côte.

Illustration de « Une » publiée à l’occasion de la publication dans l’Humanité le 24 mars 2016 d’un article sur la haute mer : « un premier cadre de négociations consacrées à l’établissement d’un droit international en faveur de la haute mer. Il ne s’agit pas encore du grand soir pour la protection du grand large ».

POINTS DE REPÈRE

L’analyse de Séverine Michalak, juriste, spécialiste du Droit des énergies marines renouvelables, a été initiée à la suite du repérage par Yves Henocque – LittOcean, de l’article “Unity or Fragmentation in the Deep Blue: Choices in Institutional Design for Marine Biological Diversity in Areas Beyond National Jurisdiction” de David S. Berry de la Faculty of Law, University of the West Indies, Bridgetown, Barbados.

David S. Berry enseigne dans les domaines du droit international public. Il fait actuellement partie de l’équipe de la CARICOM pour les négociations sur le BBNJ. Une partie importante du projet de texte actuel de l’accord BBNJ étant toujours entre crochets et les négociations étant retardées, les négociateurs devraient profiter de ce nouveau délai pour clarifier la manière dont l’accord BBNJ se coordonnera avec les organismes existants tels que la CITES afin de mettre en place un cadre efficace de gouvernance des océans selon un article de l’IDDRI.

Le seul instrument juridique qui couvre la haute mer est la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS) signée à Montego Bay en 1982.


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