France – 10/07/2025 – energiesdelamer.eu.

Interview de Laurent Bordereaux, Juriste, professeur à La Rochelle Université, spécialisé en droit des zones côtières.

Vous venez de publier un article d’opinion dans le quotidien La Tribune du 8 juillet sur le futur parc éolien en mer d’Oléron.

Votre tribune intervient alors que le débat sur la proposition de loi Grémillet a eu lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat où elle vient d’être adoptée. Elle reviendra en deuxième lecture en septembre à l’Assemblée.

La filière énergies marines renouvelables (EMR) en plein développement est une source d’emplois et de réindustrialisation locale. N’y a-t-il pas un risque à ce que les jeunes perçoivent les énergies renouvelables en mer comme offrant des métiers non pérennes, engendrant une difficulté de recrutement et de financements ?

 

La période est effectivement troublée et peut de prime abord être source d’inquiétudes et de doutes. Certes. Mais la jeunesse a sa propre vision des problématiques environnementales et énergétiques. J’ai pu le constater en tant qu’enseignant. Avec un brin d’optimisme, il n’est pas interdit de lui faire confiance. Tout simplement…

Vous évoquez les recours éventuels. Est-ce qu’un recours pourrait être lancé si le lauréat désigné était le seul à avoir maintenu une proposition ?

 

Laurent Bordereaux (LB) : Il est difficile de répondre à ce stade. La procédure reste confidentielle ; les informations évoquées émanent d’investigations menées par les médias. Je pense qu’il est un peu prématuré de parler de recours éventuel s’agissant d’une procédure dont on ne connaît pas encore tous les tenants et aboutissants… Cela étant, les questions de concurrence sont très importantes dans une procédure d’appel d’offres et les autorités compétentes sont très vigilantes en la matière.

Ce qui a été pointé du doigt, à ce jour, ce sont les difficultés de cet appel d’offres à convaincre les opérateurs de l’offshore. Ensuite, si un jour un opérateur est désigné dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il pourra notamment y avoir un recours sur l’aspect environnemental du projet. Un recours devant le Conseil d’État qui pourrait donc être intenté contre l’autorisation administrative qui sera délivrée. L’autorisation environnementale qui sera délivrée à RTE pour le raccordement n’est pas non plus à l’abri d’un recours. Pour l’heure, il faut laisser les services compétents analyser les offres, et le gouvernement réfléchir…

Actuellement le site retenu est sur une zone Natura 2000. Si l’Etat décide de déplacer la zone d’implantation, un nouveau débat serait-il nécessaire ?

Les conditions du débat public ont beaucoup évolué avec les lois récentes, notamment la loi sur l’accélération des énergies renouvelables de 2023, qui ne semble pas fondamentalement remise en cause par le projet de loi Gremillet qui a été adopté au Sénat en deuxième lecture le 8 juillet. Le débat public s’inscrit aujourd’hui dans une logique assez large de façade maritime ; on ne raisonne plus projet par projet. Mais Oléron 1 (AO7) a été acté par une décision ministérielle en juillet 2022 qui a été prise au vu du débat public sur ce projet. Il paraît bien difficile de s’en écarter. En tout état de cause, la sortie du périmètre du parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et des pertuis charentais semble définitive et constitue une ligne rouge. Par ailleurs, il est impératif de respecter les choix des documents stratégiques de façade (DSF).

Nous sommes aujourd’hui dans un contexte de grandes incertitudes, y compris d’incertitudes politiques, ce qui effectivement ne facilite pas la concrétisation de ce projet qui est très fragilisé.

Une question technologique se pose, est-il possible de réaliser aussi loin des côtes un parc éolien posé en eau profonde ? Au-delà de la possibilité technique, il y a les conditions économiques dans le contexte que l’on connaît.

C’est bien la question du modèle économique du parc qui est posée. À quel niveau d’investissement, de soutien financier public, est-ce tenable ? De plus il existe un passif environnemental qui est problématique, et qui n’est pas purgé, même si le projet a évolué grâce au débat public.

Il y a eu beaucoup de crispations autour de sa localisation. Il demeure en zone Natura 2000 de protection des oiseaux, et des associations de protection de l’environnement restent très vigilantes sur ce sujet.

La LPO, qui est une association incontournable, et malgré les évolutions du projet, a fait part effectivement de ces objections fermes quant à la localisation d’un projet toujours en zone Natura 2000. Cela reste un point de blocage légitime. Il ne s’agit pas de dire que cette localisation est en soi illégale ; il faudra qu’il y ait des évaluations environnementales poussées et menées en toute indépendance ; mais c’est un point de fragilité incontestable. Le cas d’Oléron, effectivement, semble cumuler toute une série de problèmes qui rendent le projet aujourd’hui, après plus de dix ans, très incertain. J’ajoute que l’Autorité environnementale (Ae), dans son avis du mois de mars sur le DSF Sud-Atlantique, rappelle que les projets éoliens « ne pourront être autorisés en l’état en zone Natura 2000 que si les incidences résiduelles, après évitement et réduction, sont négligeables ».

 

Portail de la planification maritime où apparaissent les projets « Oléron 1 et 2″ en Zone de Protection Spéciale » des oiseaux

 

 Et la place des sciences ? J’avais compris qu’il y avait un groupement d’intérêts scientifiques qui voulait se créer pour travailler sur le parc éolien en mer d’Oléron, avec des sciences juridiques, des sciences environnementales, etc.

 

LB – C’est une question pour les sciences du vivant… Elles sont évidemment importantes et très attendues, c’est-à-dire qu’on a besoin de produire et développer des connaissances scientifiques sur le plan environnemental, et notamment sur la fameuse question des impacts des projets éoliens sur la biodiversité. Donc, on en attend beaucoup. Mais attention aux « biais » de ces recherches. Il est certain que l’on n’a pas conçu les zones Natura 2000 de protection des oiseaux pour y implanter de grands parcs éoliens offshore. Cela ne peut être que par exception, et sous bénéfice d’évaluations environnementales extrêmement poussées, qui apportent une démonstration ferme de l’absence d’impact significatif. La localisation en zone Natura 2000 est fondamentalement problématique.

 

Les parcs éoliens en mer, offrent-ils des conditions similaires à des aires marines protégées et permettent-ils un retour de la biodiversité ?

 

LB – Là encore, il faut écouter les spécialistes de la biodiversité marine. Que pourrais-je dire ? Il peut y avoir, potentiellement, des impacts positifs. Mais si on regarde les choses globalement, il y a quand même aussi une logique d’anthropisation supplémentaire dans une aire marine protégée. C’est aussi la vocation naturelle qui est remise en cause. Et, il y a la question particulière de la faune aviaire, fondamentale. On pourrait être tentés d’opérer une mise en balance entre effets négatifs et potentiellement positifs ; mais une aire marine protégée reste un site naturel qui n’a pas vocation non plus à faire l’objet d’une très forte anthropisation.

 

2025, est l’année des 20 ans de la Charte de l’environnement ? Convient-il de faire évoluer le texte de la Charte qui semble être de moins en moins respectée ?

Et faut-il effectivement que cette charte évolue pour prendre en compte un certain nombre de contraintes ?

 

 

LB – Je ne suis pas certain que les marges manœuvres aujourd’hui soient forcément au niveau de la réécriture de la Charte de l’environnement. C’est un texte de haut rang, puisque constitutionnel, général, et qui s’inscrit fondamentalement dans une logique de conciliation. Quand on regarde la rédaction du principe de précaution on voit qu’elle est très prudente… Je ne suis pas certain que le levier se situe du côté d’une modification (éventuelle) de la Charte de 2005.

Je pense qu’il faut être plus ferme sur le respect du droit européen de l’environnement, notamment les directives Natura 2000, « habitats » et « oiseaux ». Et autant que faire se peut, il faut mieux concevoir aussi ces grands projets d’infrastructures énergétiques pour qu’il y ait moins de contradictions avec l’objectif d’intérêt général de protection de la biodiversité.

 

Le débat public organisé par la CNDP « la mer en débat », n’a-t-il pas été utile et n’a pas fait évoluer les attentes ? Est-ce que le futur débat sur le schéma décennal de RTE, ne va pas encore permettre de nouvelles évolutions et de nouvelles compréhensions des sujets ?

 

LB – L’objectif de ces grands débats, c’est de faire avancer la réflexion et de prendre aussi un peu de recul par rapport à des dossiers qui peuvent être épineux et assez clivants. Et en tout cas, pour « la mer en débat », c’était un débat particulièrement intéressant aussi parce qu’il prenait un peu de distance avec les projets pris isolément pour avoir un raisonnement un plus global au niveau d’une façade, ce qui permet de se projeter à plus long terme et ce qui permet effectivement d’aborder ces questions sensibles de manière un petit peu plus apaisée.

 

Et d’ailleurs, on constate quand même que les cartographies de l’État pour l’éolien en mer ont quand même globalement plutôt évolué dans le bon sens, c’est-à-dire qu’on constate un certain nombre d’efforts d’évitement des aires marines protégées, pas partout, loin de là. Mais c’est un débat qui a permis de mettre en perspective plusieurs objectifs fondamentaux, dont la préservation des aires marines protégées pour permettre effectivement, le cas échéant, les implantations de parcs éoliens offshore dans de meilleures conditions. Il faut à tout prix éviter une contradiction frontale avec d’autres objectifs d’intérêt général.

 

Le débat public sur le SDDR de RTE ne va-t-il pas apporter de nouvelles connaissances et justement des améliorations dans la décision publique, dans la prise en compte des connaissances des élus et des citoyens ? Même si les conditions des retombées économiques dans les parcs en ZEE ne sont pas encore connues, sur le plan local et pour la réindustrialisation du territoire elles ne sont pas négligeables.

 

LB – Oui, tout à fait, effectivement. C’est bien l’objectif d’un débat d’ampleur.

 

Il faut espérer, je suis d’accord avec vous, que les connaissances soient apportées pour le public et puis qu’il y ait une réflexion positive pour élargir un petit peu le consensus sur le futur énergétique de la France, qui passe aussi par des échanges qui soient plus apaisés que lorsque l’on discute d’un projet en particulier. Mais il faut juger sur pièces comme on dit ! C’est plus facile d’analyser un débat une fois qu’il est terminé.

Quant aux retombées économiques de l’éolien offshore, il y en a nécessairement, directes et indirectes, avec des enjeux importants pour la filière portuaire. C’est bien pour cela que les projets éoliens doivent être bien pensés à tous points de vue.

 

Pour Oléron, est-ce qu’on recommence tout ?

 

LB – C’est un choix qui appartient au maître d’ouvrage en fonction des conditions propres à cet appel d’offres, c’est-à-dire notamment en fonction du nombre de candidats. Ensuite, il appartiendra effectivement au gouvernement d’arbitrer sur la suite adéquate : abandonner le projet, le relancer ou éventuellement le reconcevoir.

 

Il y a plusieurs options, il appartient aux maîtres d’ouvrage d’en décider.

 

« Une éventuelle relance d’ « Oléron 1 » ne saurait cependant s’affranchir de tout cadre, loin s’en faut. Ne garderait-elle pas pour fondement la décision ministérielle du 27 juillet 2022 consécutive au débat public et prise au vu de ce dernier (publiée au Journal officiel[1]) ? Elle affirme qu’un « premier parc sera situé au sein de la zone de 180 km2 identifiée » et que la « zone est située en dehors du Parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, et implique l’installation d’éoliennes posées en grande profondeur ». Ainsi, il n’est absolument pas question d’envisager à nouveau ce parc éolien au sein du parc naturel marin. » (LB, La Tribune, 8/07/2025 OPINION. « Parc éolien au large d’Oléron : quoi qu’il en coûte ? » )

 

Est-ce au maître d’ouvrage ou à la CRE de faire cette recommandation ?

 

LB – Les recommandations de la CRE vont vraisemblablement peser sur la décision finale. La vision politique, en tout cas, du projet, est bien du côté des maîtres d’ouvrage. Et c’est un peu l’heure de vérité pour Oléron 1.

 

Le débat à l’Assemblée nationale sur le projet de loi Grémillet a été d’une confusion totale. En tant que juriste, quels sont les recommandations que vous pourriez faire alors que certains parlementaires et opposants aux énergies renouvelables ont asséné des contre-vérités sur leur coût et en particulier sur l’éolien en mer ?

 

LB – Difficile de répondre ici en tant que juriste ! La désinformation, à des degrés divers, fait inévitablement partie de l’équation… Cela étant, on pourra en atténuer les excès par la mise à disposition d’informations plurielles, soulignant l’ensemble des avantages et des inconvénients des différents modes de production d’énergie sur le plan technique, économique et environnemental. Les scientifiques et les débats publics ont bien évidemment un rôle à jouer en la matière.

Propos recueillis par Brigitte Bornemann, présidente des publications Mer-Veille-Energie

 

[1] Décision du 27 juillet 2022 consécutive au débat public portant sur le projet de parcs éoliens en mer en Sud-Atlantique et son raccordement – Légifrance

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POINTS DE REPÈRE

France – 28/10/2024 – energiesdelamer.eu.

Laurent Bordereaux déclare à energiesdelamer.eu, « mon observation se limite à la façade Sud Atlantique … mais, le débat public fait quand même évoluer les choses » …

France – 11/09/2023 – energiesdelamer.eu.

À l’aube des prochains débats publics par Façade présidés par Floran Augagneur, Laurent Bordereaux, professeur de droit du littoral à La Rochelle Université a publié une tribune dans le quotidien Sud-Ouest. Il souligne le besoin d’une protection forte, y compris dans les zones Natura 2000. Il va plus loin avec energiesdelamer.eu.

 

 

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