France – Publié Vendredi 24/04/2020. energiesdelamer.eu – Des échanges épistolaires et par voie de presse fusent ces trois derniers jours, comme le rapporte energiesdelamer.eu dans deux précédents articles. Interview exclusive d’Alain Coudray, président du Comité départemental des pêches des Côtes d’Armor.

Pourquoi un tel blocage aujourd’hui à propos des études UXO, géophysiques et géotechniques qui doivent être menées par Ailes Marines et RTE, alors que la saison de pêche de la coquille Saint-Jacques est pratiquement terminée ?

Le Comité des pêches des Côtes d’Armor que vous présidez depuis 2012 a souvent obtenu des compromis sur de nombreux sujets de la part d’Ailes Marines, l’opérateur du parc éolien en mer de Saint-Brieuc. Quelles sont les améliorations apportées à la suite de vos discussions par le consortium lauréat ? Quel est l’origine du blocage puisque qu’une campagne UXO a déjà été menée par Bibby Offshore (01/04/2017 au 12/04/2017) et qu’elle est présentée sur le site du CDPMEM 22.

Alain Coudray – AC – Les enjeux ne sont pas uniquement liés à la période où ce coquillage est prélevé. Concernant la coquille Saint-Jacques, la période de fermeture (généralement de mai à septembre pour la baie de Saint-Brieuc) est un repos biologique lié au cycle de reproduction de l’espèce. A cette période, les femelles pondent, et les larves sont quelques temps dans la colonne d’eau avant de venir vivre sur le fond. C’est donc une période critique pour ce bivalve, mais pour d’autres également ; palourdes, praires, amandes…

C’est également une période à laquelle les seiches sont près de nos côtes et capturées par nos professionnels (entre mars et septembre). Ce céphalopode est, d’après la littérature scientifique, sensible aux perturbations sonores.

Par ailleurs, c’est une période phare pour la pêche de certains crustacés comme le homard. De même, la grande majorité des professionnels ciblant le bulot exercent leur activité sur la zone du parc et en périphérie à cette époque de l’année. C’est aussi une période à laquelle nos professionnels pêchent les poissons pélagiques comme le bar, le lieu, le maquereau…

L’opposition au déploiement de ces études est liée à ces enjeux et au fait que nous ne connaissons pas les impacts que peuvent avoir ces études UXO, sur les espèces halieutiques.

Par ailleurs, quelques professionnels nous avaient fait remonter des diminutions de leur capture lors de ces campagnes, mais les données que nous avions ne nous permettaient d’établir des liens de causes à effets, et surtout d’imputer ces perturbations aux variations naturelles, aux études effectuées par le développeur (Ailes Marines), à d’autres facteurs.

Cependant, depuis quelques années les connaissances sur la nature des sons produits lors de ce type d’études sont plus riches, c’est un sujet sur lequel de plus en plus de scientifiques travaillent et qui a été porté à notre connaissance par les chargés de mission des comités qui échangent très régulièrement avec ces experts. C’est pourquoi les marins-pêcheurs nous ont demandé d’avoir ces réponses avant toutes autres campagnes d’études techniques de ce genre.

 

Notre opposition à la réalisation de ces études vient également du fait que nous avons mis en place depuis 2012 des règles de bonnes pratiques pour s’assurer que ces études se fassent en parfaite cohabitation avec les activités de pêche et pour permettre la poursuite en toute sécurité de celles-ci. Une des plus importantes, et qu’Ailes Marines et RTE semblent avoir oubliée, est qu’avant toute réalisation de campagnes d’études, il convient de travailler en étroite collaboration avec les comités des pêches sur la définition du calendrier de réalisation.

 

Cette règle fait d’ailleurs partie des engagements pris par RTE au niveau national avec les comités des pêches dans le « Guide de bonnes pratiques entre les Comités des pêches maritimes et des élevages marins et RTE relatif à la construction et l’exploitation des liaisons électriques sous-marines » édité en décembre 2017 (1):

  • « RTE s’engage à prendre en compte les enjeux halieutiques dans la planification de ses études en mer »
  • « En ce qui concerne la communication entre les parties, lorsque RTE réalise ou fait réaliser des interventions en mer, tant en phase d’études, qu’en phase travaux, un principe général de 3 phases de communication avec les Comités des pêches et les professionnels sera mis en œuvre : Echanges préalables quant aux calendriers prévisionnels des études/travaux….. »

 

Or, aussi bien avec Ailes Marines qu’avec RTE, nous n’avons eu qu’une seule et unique réunion de présentation de ces études et du calendrier associé, imposé par les développeurs (le 9 mars pour Ailes Marines et le 20 avril par courriel pour RTE…les services de l’Etat peuvent en témoigner).

 

Ce n’est donc pas ce que j’appelle une planification des études en étroite collaboration avec les instances de pêche. Ils n’ont même pas pris le temps de nous demander quand cela serait possible au regard de l’activité des professionnels, des enjeux pour les ressources halieutiques…

 

Si même pour des études techniques, ils ne sont pas capables de respecter ce cadre de concertation, qu’en sera-t-il lors d’une éventuelle phase de travaux ?

Vous craignez des impacts acoustiques sur la biodiversité marine. Deux études scientifiques vous ont été présentées lors d’une réunion au CDPMEM. La première est le projet de R&D IMPAIC, IMPacts Acoustiques sur les Invertébrés de la baie de Saint-BrieuC portant sur les effets du bruit sur la coquille Saint Jacques, la praire et le homard, menée par Laurent Chauvaud* de l’IUEM – UBO et le MNHN, et la seconde par Michel André, Professeur de l’Université Polytechnique de Catalogne (UPC) et Directeur du Laboratoire d’Applications Bioacoustiques (LAB)**, deux experts mondiaux (2). Qu’attendez-vous de ces deux études ?

AC – Les connaissances sur les impacts acoustiques des projets EMR sur les ressources halieutiques, aussi bien ceux liées aux études menées en amont de la construction (campagne géophysique, campagne géotechnique) ou ceux induits par les opérations de construction des parcs (battage, forage, ensouillage de câble) sont très limitées voir quasi inexistantes : Il reste tout à faire. Nous n’avons cessé depuis 2012 d’interpeler le développeur (Ailes Marines), et différents organismes pour avoir ces réponses et avons bataillé pour que des travaux de recherche soient menés avant une éventuelle construction.

Nous avions connaissance des travaux menés par Laurent Chauvaud (Lemar-IUEM-UBO) en matière d’acoustique marine. Nous nous sommes mis autour de la table et ces études ont été définies à partir des questions qui étaient posées par les professionnels.

Par la suite les experts de l’IUEM et du MNHN, avec le savoir faire en zootechnie de l’écloserie du TINDUFF près de Brest ont donc travaillé sur les impacts des sons de type battage sur la coquille Saint-Jacques et se sont servis d’enregistrements que nous avions demandé aux développeurs de faire lors de la dernière campagne géotechnique (2018) pour également soumettre la coquille saint jacques a des bruits emis lors d’opérations de carottages.

A ce jour, des résultats intermédiaires ont été présentés sur la coquille Saint-Jacques, mais lors de notre dernier entretien, des analyses étaient encore en cours sur cette espèce, et les résultats n’étaient pas encore validés. Ces mêmes experts ont depuis peu débuté des travaux sur la praire et devraient bientôt démarrer ceux sur le homard.

Concernant la seiche, les études menées par Michel André et son équipe sont terminées. Nous sommes dans l’attente de la transmission des résultats et de la présentation aux professionnels.

Donc contrairement aux déclarations faites par Ailes Marines en réponse à notre communiqué de presse, à aucun moment les résultats des travaux menés par l’Université de Catalogne sur la seiche ne nous ont été présentés, ni même ceux sur le homard, ou la praire….

Enfin lors de cet entretien, les experts en bioacoustique n’ont pas présenté de «résultats préliminaires» sur les impacts des études qu’ils comptent mener. En effet, ces experts travaillent sur les impacts du battage et du carottage et non sur les sons émis lors de forages, d’ensouillages ou lors de campagnes géophysiques…

 (1) https://www.comite-peches.fr/adoption-dun-guide-de-bonnes-pratiques-entre-rte-comites-peches/

coquille saint jacques

(2) La première est le projet de R&D IMPAIC IMPacts Acoustiques sur les Invertébrés de la baie de Saint-BrieuC portant sur les effets du bruit sur la coquille Saint Jacques, la praire et le homard, mené par l’IUEM – UBO – laboratoire LEMAR (UMR6539) CNRS mené par Laurent Chauvaud directeur de recherche CNRS*. Laurent Chauvaud est l’auteur de nombreuses publications scientifiques et du livre sur la coquillage Saint-Jacques paru en 2019 chez Equateurs.

 

 

La seconde est le projet de R&D portant sur les effets du bruit sur la seiche, mené par Michel André Professeur de l’Université Polytechnique de Catalogne (UPC) et Directeur du Laboratoire d’Applications Bioacoustiques (LAB)**.

Seiche : Cf la communication scientifique dans Nature.com. Offshore exposure experiments on cuttlefish indicate received sound pressure and particle motion levels associated with acoustic trauma / Expériences d’exposition en mer sur les seiches Published: 05 April 2017 Scientific Reports (2017) : Marta SoléPeter SigrayMarc LenoirMike van der SchaarEmilia Lalander & Michel André.

Par ailleurs, RTE, en partenariat avec le bureau d’études TBM environnement (Auray – 56) et le Laboratoire universitaire des sciences de l’environnement marin (LEMAR, Brest – 29), a lancé en 2017 un projet innovant et atypique en utilisant les caractéristiques naturelles de la coquille Saint-Jacques et les savoir-faire des scientifiques impliqués dans ce programme : OASICE (cOquilles Saint jAcques outil de Surveillance de l’Impact des Cables Electriques). Deux projets de liaisons sous-marines en baie de Seine ont été retenus comme sites d’étude pour le déploiement du protocole mis au point par ces chercheurs : le raccordement du parc éolien offshore du Calvados (à Courseulles-sur-Mer) et l’interconnexion France Angleterre IFA2.

EDM 24 04 020 calendrier projet 20201

 

Source : Site du CDPMEM 22 : Calendrier des études menées sur les ressources halieutiques. (avant/pendant/après construction). Un état de référence sur 3  années est prévu avant travaux. Extrait du dossier de presse de

Campagnes d’études halieutiques et calendrier du projet

Les Comités des pêches ont été très proactifs sur la définition des méthodes d’étude sur les ressources halieutiques. Ces travaux, menés en collaboration avec les scientifiques et les porteurs de projet, ont abouti à un consensus sur des états de référence d’une durée de 3 ans. Or, le manque d’investissement et de réactivité d’Ailes Marines et RTE sur ces sujets au cours de l’année 2018, n’ont pas permis de stabiliser et de rendre opérationnels les protocoles d’études dans un délai permettant la réalisation de cet état de référence avant le second semestre 2022 (Cf. Tableau ci-dessous). Les Comités des pêches rappellent leur attachement à la réalisation d’un état de référence pertinent sur les ressources halieutiques dont la durée devra être respectée par les porteurs de projet, conformément à leurs engagements et aux préconisations des experts.

Points de repère

23/04/2020Ailes Marines a décidé d’ensouiller 100% des câbles sous-marins qui relient les éoliennes entre elles à la sous-station en mer et apporte des précisions à energiesdelamer.eu suite au communiqué du Comité des pêches 22 présidé par Alain Coudray.

 

22/04/2020 – Coquilles Saint Jacques, pêcheurs et parc éolien en mer de Saint-Brieuc …

Les pêcheurs ne laisseront « aucun navire venir faire ces campagnes en baie de Saint-Brieuc » où des études techniques doivent être menées en vue d’y implanter un parc éolien.

Pour en savoir plus : Consultez RTE dans le Business Directory permet l’accès direct aux études et articles parus sur le site energiesdelamer.eu. Le répertoire bénéficie du soutien financier de plus de cinquante partenaires dont des entreprises / entreprises citées dans l’article.


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